mardi 11 avril 2017

Reportage / Fatma Alilate / toutmontpellier.fr

Fatma Alilate : Bonjour Monsieur Benoît Galifer. 
Benoît Galifer : Bonjour. 
Fatma Alilate : Vous nous recevez dans votre atelier, quartier Sainte-Anne à Montpellier. Vous avez exercé comme chirurgien, professeur à la faculté de médecine, vous avez été chef de service. Vos études, vos activités vous ont éloigné de la peinture pendant de nombreuses années alors que vous aviez obtenu un Premier Prix de dessin à l’âge de seize ans. De quelle façon avez-vous pu rester en lien avec la peinture, l’art pendant toutes ces décennies ? 
Benoît Galifer : Alors Effectivement, vous avez raison. Je peignais quand j’avais quatorze, quinze ans, au contact d’un peintre local, très connu dans ma ville natale qui est Arles, qui s’appelait Théo Rigaud (1915-1985). Et c’est lui qui sans le savoir m’a transmis ce goût de la peinture. Ce qui m’avait, après ce Prix de dessin au cours d’un festival des jeunes qu’il avait organisé, fait imaginer que je puisse faire une carrière dans les beaux-arts. Et puis ça n’a pas été possible pour des raisons sur lesquelles il serait trop long de s’attarder ici. J’ai épousé les études médicales. Et effectivement, ce long parcours qui m’a conduit d’étudiant en médecine jusqu’à professeur de chirurgie pédiatrique à la faculté et chef de service au CHU est un parcours qui m’a éloigné de la peinture en tant que telle. Il y avait une telle exigence d’exclusivité, de disponibilité, d’excellence que même de façon intermittente, on ne pouvait pas faire de la peinture sérieusement. Mais j’ai gardé le contact avec l’art, avec l’art en général d’ailleurs, l’opéra et beaucoup de choses, et avec la peinture par la lecture d’articles, de revues, la fréquentation des expositions, des grands musées du monde puisque mon métier m’a permis de voyager un peu partout dans la planète. Et je pense que dans ma tête, j’ai continué à peindre, puisque cinquante après, je me suis remis à prendre les pinceaux et je n’avais pas l’impression d’être un débutant. 
Fatma Alilate : Vous vous consacrez désormais à la peinture, que vous apporte cet art ? 
Benoît Galifer : Il m’apporte bien entendu beaucoup de plénitude et de doutes en même temps puisque ça n’est pas ma vocation initiale. Mais il m’apporte principalement le fait de rendre vivant un désir de peinture que j’ai enfoui dans mon subconscient pendant cinquante ans. Et maintenant, j’ai fait une démarche de peintre, je ne voudrais pas qu’on me considère comme un petit amateur qui fait de la peinture intermittente. J’ai une démarche de peintre indépendamment de la qualité ou de la non-qualité de ce que je peins, j’ai un atelier, je viens régulièrement à mon atelier faire des peintures. Je m’intéresse de façon beaucoup plus profonde à la peinture. Ça m’apporte une plénitude, quelque chose qui maintenant me satisfait pleinement. 
Fatma Alilate : Est-ce que votre formation de médecin permet un autre regard sur votre peinture ? 
Benoît Galifer : D’abord ça ne m’a pas du tout influencé sur les thèmes de peinture, je ne suis pas en train de peindre des tables d’opération ou des planches anatomiques. En revanche, je crois que c’est important de faire un parallèle entre la chirurgie que j’ai exercée et la peinture que j’essaie de faire maintenant. On dit, c’est un dicton populaire, que la chirurgie est un art, ce qui rendrait peut-être presque plausible, que passer de l’un à l’autre serait chose facile. Disons au passage que c’est moins dangereux de passer du bistouri au pinceau, que de passer du pinceau au bistouri. Mais la chirurgie m’a structuré dans le sens contraire de ce que je dois vivre maintenant. Car, je suis bien placé maintenant, je suis à l’interface des deux, pour affirmer que la chirurgie n’est pas un art. Pour moi, la définition de l’art c’est la création, c’est la liberté, c’est d’accepter le risque de l’échec, ce qui est totalement impossible dans le cadre d’une chirurgie où l’on est bardé de principes de précaution, de responsabilité de moyens, de responsabilité de résultats. Donc, ce que m’a apporté la chirurgie en revanche, c’est je crois la rigueur, l’idée qu’il faut finir ce que l’on a débuté. Je ne m’arrêtais pas de faire une intervention au milieu parce que c’était difficile. Quelle que soit la difficulté, je m’acharne sur un tableau. Et puis, je suis peut-être « concerné » par cela, je suis incapable de faire deux tableaux à la fois, comme j’étais incapable de faire deux interventions à la fois. La chirurgie ne m’a pas apporté grand-chose dans la technique, mais effectivement ça m’a structuré. Je suis obligé presque de me déstructurer de tout ce qui a fait ma formation de chirurgien pour peindre. Il faut retrouver la liberté, il faut retrouver l’idée de faire n’importe quoi face à une toile blanche, alors que arriver le matin et se mettre devant une table d’opération, on n’avait pas la possibilité de faire n’importe quoi. Voilà ça m’apporte quelque chose en creux finalement.  
Fatma Alilate : Lors d’une précédente visite de votre atelier, vous m’aviez dit que vous essayez différentes techniques face à la toile. Par exemple, la cuillère. 
Benoît Galifer : Oui. Etant totalement vierge de formation académique, c’est à la fois une faiblesse et une force. L’intérêt c’est de transformer cette faiblesse en force. Et donc je ne me refuse rien, c'est-à-dire que quand je n’ai pas de sujet en tête et que je tourne autour d’une toile vierge et blanche pendant deux ou trois jours sans savoir ce que je vais faire. Alors, à ce moment-là, je me lance sur la toile, je me bats avec elle. Je n’ai pas de sujet au démarrage, et j’utilise des instruments qui sont détournés : une cuillère, des truelles, des spatules. Et petit à petit avec des appositions de couches, de couleurs, j’arrive à dégager le thème d’un tableau. J’associe des couleurs qui peut-être ne devraient pas être associées, je tente tout sur une toile, je n’ai aucun souci, je n’ai pas de responsabilité de résultat, c’est ça qui est très important. 
Fatma Alilate : Est-ce que le dessin est présent dans vos toiles ? Vous qui aviez eu un Premier Prix de dessin, il y a très longtemps. 
Benoît Galifer : Vous avez raison (rires), paradoxalement, il n’est plus présent dans mes toiles. Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas cultivé le dessin en tant que chirurgien et j’avoue maintenant ne plus savoir bien dessiner. Et de toute façon, je peins un peu dans l’urgence. Parce que j’ai un âge certain, je n’ai pas vingt ans ou trente ans de peinture devant moi. Et je veux tout de suite arriver à la toile, de telle sorte que je ne fais pas d’esquisse. Quand par exemple, je fais un paysage urbain, je fais deux ou trois lignes qui me structurent la mise en scène, l’emplacement des villes et des bâtiments que je veux peindre. Mais je ne fais pas de dessin, je ne fais plus de dessin. Peut-être que j’y reviendrai, si je viens à faire du nu parce que ça nécessite des dessins préalables que je pourrais peut-être faire car j’ai une bonne connaissance du corps humain mais enfin ça n’est pas un thème de ma peinture. Ma peinture actuellement, c’est plutôt des paysages urbains, des paysages marins ou de terre. 
Fatma Alilate : Eprouvez-vous du doute face à vos toiles ? 
Benoît Galifer : Alors en permanence, et je n’ai pas honte de le dire. Même si on en éprouvait en tant que chirurgien, ça il ne fallait pas le dire bien entendu parce que de temps en temps, on partait pour des interventions et elles étaient excessivement dangereuses pour l’enfant, et on n’allait pas dire aux familles de telles choses. Mais face à une peinture, oui je suis dans le doute, je suis dans le doute quand je la fais. J’ai un gros problème, je crois comme beaucoup de peintres, je ne sais pas quand une peinture est terminée, sur quels critères dire qu’une peinture est terminée, je suis incapable de le dire. Et il y a un moment où cette peinture m’échappe, et je n’ai envie de terminer de peur de la gâcher, c’est peut-être pour moi un critère de fin de la peinture, ce qui ne veut pas dire pour cela que la peinture est réussie. Fatma Alilate : Dans votre atelier, il y a votre première toile. 
Benoît Galifer : Alors c’est ma première toile effectivement. On va aller la voir. 
Fatma Alilate : C’est une nature morte ? 
Benoît Galifer : Si on considère que j’ai commencé à peindre dans les années 60-61, puisque maintenant je suis quand même septuagénaire. Cette toile que nous voyons maintenant, c’est une toile qui date de novembre 2012. Je l’ai faite cinquante après, exactement, après avoir raccroché les pinceaux de gouache. Alors c’est une nature morte, c’est un exercice que m’avait fait faire un de mes amis qui est peintre, qui s’appelle Jean Leccia, à qui je veux rendre hommage, car il m’a mis le pied à l’étrier. C’est une nature morte et tout ce qu’on m’en a dit, c’est que ce n’est pas une toile de débutant, c’est une toile d’un peintre qui a certainement maturé dans sa tête. 
Fatma Alilate : C’est un peintre qui a peint dans sa tête pendant cinquante ans. 
Benoît Galifer : Oui, peut-être pas cinquante ans. Mais les dix ou vingt dernières années de ma profession, je me disais toujours : « Faudra se remettre à peindre. » Et puis, un jour, j’étais en train de naviguer dans la ville, je ne savais pas ce qu’il fallait acheter, de la toile, de la peinture. J’ai rencontré Jean Leccia qui m’a fait venir dans son atelier et qui m’a fait faire quelques exercices et je lui dois ce redémarrage. 
Fatma Alilate : Il y a la ville comme thématique qui est très présente dans vos toiles. Ce sont souvent des villes avec une dimension verticale, très forte. Des villes qui font penser aux villes… 
Benoît Galifer : Américaines. Effectivement, j’ai commencé par faire des paysages. On peut parler d’influences. Je ne suis pas un abstrait au point de vue peinture, mais j’ai été très influencé par un peintre qui est abstrait, Rothko qui fait des interfaces entre couleurs. Cette interface horizontale qui constitue un horizon moi je l’ai transformé en interface entre les éléments, l’air, l’eau, la terre, le feu. Et donc, il y a toute une période de paysages horizontaux. Et puis un moment donné, j’ai eu envie de faire des tableaux plutôt dans la verticalité et comme j’ai vécu un peu au Canada et aux Etats-Unis. Ça a ressurgi, ces villes américaines sont très photogéniques. Et le troisième thème parce que peut-être que vous allez me poser la question, ce sont quelques natures mortes. 
Fatma Alilate : Ici, c’est la campagne qui est représentée, la campagne proche de Montpellier. 
Benoît Galifer : Oui, c’est un vignoble du côté de Lansargues. C’est une de mes connaissances qui m’a demandé de peindre son vignoble aux quatre saisons et donc j’ai opté pour de grandes toiles. C’est un petit peu difficile de se heurter sur des toiles qui font deux mètres de long sur un mètre trente ou quarante de haut. J’ai fait la même vue aux quatre saisons différentes en modifiant les tonalités de peinture. 
Fatma Alilate : Celle-ci avec un ciel rose représente le printemps ? 
Benoît Galifer : C’est le printemps. 
Fatma Alilate : C’est psychédélique. 
Benoît Galifer : Ce n’est pas tout à fait rose, j’ai voulu indiquer une explosion de couleur pour le différencier de l’été. Ce n’est pas facile de différencier l’été et le printemps sur une peinture. 
Fatma Alilate : Vous avez joué sur les verts pour les différentes saisons. 
Benoît Galifer : Tout à fait les verts. Les quatre toiles seront présentées côte à côte. Ça fait quand même huit mètres linéaire et sur un montage d’ordinateur, on voit que ça fonctionne pas mal. 
Fatma Alilate : C’est une œuvre intéressante. 
Benoît Galifer : Oui, c’est intéressant, parce que de toute façon, on fait des progrès avec chaque peinture. Je suis en train comme tous les peintres débutants, je m’estime être un « vieux-jeune peintre », puisque ça fait trois ans et demi que je peins, je suis en train de chercher mon écriture. C’est un exercice difficile de parler de sa peinture, ma peinture, elle est à cheval entre le figuratif et l’abstrait. Je pars du principe qu’entre le figuratif pur et la peinture hyper réaliste, celle qui reproduirait à un détail près une photo et l’abstrait qui ne signifie rien sauf ce que le peintre a voulu y mettre, il y a tout un continuum sur lequel se balade un curseur et moi je suis un petit peu à cheval sur ce curseur. Je cherche cette écriture. Alors en fonction du sujet, de l’état dans lequel je suis mon curseur est parfois près du figuratif, sans être du figuratif, parfois près de l’abstrait sans être de l’abstrait. Disons que j’essaie de faire une peinture que je qualifierai d’onirique. C’est une peinture qui est défigurative, c’est de la défiguration. Car je prends un paysage ou une ville, je la retransforme à ma façon mais cette peinture par nécessité, elle a besoin d’avoir un substatrum réaliste. J’ai besoin que l’on sache que c’est une ville, que c’est un paysage maritime ou pas. 
Fatma Alilate : Il y a une vision aussi, une vision floue. 
Benoît Galifer : Oui, ça j’aime bien et c’est peut-être la traduction du défaut de dessin que j’ai maintenant, mais ça fait partie de mon onirisme. Je laisse suffisamment d’oxygène à celui qui va regarder la toile pour qu’il puisse imaginer autre chose que ce que j’ai peint. C’est ce qui m’intéresse dans la peinture, je ne veux pas imposer à quelqu’un ma vision. Je donne une vision avec suffisamment d’espace pour que chacun puisse voir ce qu’il veut, je n’impose rien. Je laisse beaucoup de liberté à imaginer ce que j’ai voulu peindre. Par exemple, quand je fais une ville, effectivement, je ne fais pas les rideaux aux fenêtres, mais ce n’est pas abstrait non plus. 
Fatma Alilate : Je vous remercie. 
Benoît Galifer : Je vous en prie. Je vous remercie de m’avoir écouté.

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